Le langage, le propre de l’homme ?
Longtemps, nous avons cru que la parole était au centre de notre dite supériorité dans le règne animal et végétal. Aristote exprimait la vision de tout un pan de l’humanité en verbalisant que « seules les personnes capables de parler, sont capables de penser ». Mais que penser des personnes sourdes ou muettes ? Cette interrogation remet en effet en question cette vision. Les langues des signes sont, tout comme les langues orales, d’une prodigieuse richesse et mobilisent une pensée complexe.
Tout communique
Si l’utilisation du langage articulé est propre à l’homme, il n’est pas le seul être vivant à interagir avec ses pairs. Charles Darwin module en toute logique l’idée du langage propre à l’homme en expliquant qu’il s’agit en fait « d’une différence de degré et non de nature. » Ainsi, on retrouve chez nos cousins les chimpanzés un langage d’une grande complexité et à la richesse lexicale à faire rougir de honte Aristote (oui, rien que ça). Que dire aussi par exemple du langage des grands cétacés et même plus récemment perçu, des arbres ?
Qu’est-ce que le langage ?
Le langage est fait, dans le cadre des humains, de mots articulés entre eux afin de faire sens et de partager une pensée, un besoin, etc.
Au delà des mots, la tonalité ajoute également une nuance aux dits mots. La prosodie, la musicalité, le rythme, le tempo expriment notre état émotionnel et nous renseignent sur celui de notre interlocuteur. Cette composante n’est pas innée. Selon les cultures, cette composante musicale varie et cela nous induit à penser que c’est un apprentissage.
Outre des sons prononcés, le langage est également fait d’expressions faciales et de gestes. Le corps est également un moyen de communication fort pour donner sens ou supplanter les sons. Ainsi, si nous faisons principalement référence au langage oral, il est intéressant de considérer le langage sous toutes ses formes et dans sa complémentarité.
A quoi sert le langage ?
Jean-Claude Ameisen, dans Sur les épaules de Darwin, présente l’incroyable aventure de la construction du langage comme une tentative de
tisser des liens avec les autres, habiter un univers de relations aux autres, apprendre différentes formes de langages qui permettent de communiquer avec les autres, de se mettre à la place des autres et de faire en sorte que les autres puissent se mettre à notre place.
Ainsi, nous cherchons, dès nos premiers jours à entrer en relation avec les autres, à partager, à échanger et entrer en dialogue avec nos figures d’attachement.
Comment le nourrisson apprend le langage ?
Des génies ces bébés !
Les nourrissons sont dès la naissance capables de reconnaître et de se souvenir à court terme de mots. Ils sont particulièrement sensibles aux voyelles, les éléments majeurs de la musicalité de la langue. C’est ainsi, par la musique des sons que l’enfant commence à appréhender sa propre langue maternelle. Le bébé imite les nuances de la musicalité de ses figures d’attachement. Il fredonne et pleure selon la musicalité de sa langue maternelle.
De plus, le son de la voix nous permet d’accéder aux émotions de l’autre. Le timbre, la teinte et les tonalités des sons induisent un état émotionnel particulier qui nous est audible. Ainsi, si ces sons nous révèlent l’état d’esprit de l’autre, ils peuvent également nous indiquer notre propre état.
Le langage est plus qu’une somme de mots
L’apprentissage du langage ne saurait se limiter aux mots, il est le fruit d’un ensemble d’interactions entre le nourrisson et sa figure d’attachement (sa mère, son père, etc.)
Les nouveaux-nés sont dès la naissance capables d’imiter les mouvements du corps des personnes qui les entourent. Ainsi, les réseaux miroirs sont déjà bien en place et « ils révèlent à quel point est profondément ancré en nous le lien qui nous rattache aux autres. » (Giacomo Rizzolatti, Professeur de physiologie à l’université de Parme)
Le gazouillis polyglotte
La toute première période de vie est faite d’une capacité d’apprentissage incroyable (Quel dommage que les souvenirs de ce temps nous demeurent inatteignables).
Le nourrisson est capable d’articuler une somme phénoménale de sons et son babil ne traduit pas les sons d’une langue, ni même d’un groupe de langue, il les transcende en étant bien plus large et universel (lisez à ce sujet notre article sur l’universalité des pleurs des bébés). Aucun adulte polyglotte ne saurait rivaliser avec le large éventail de sons que le nourrisson maîtrise dans son gazouillement1.
Les étapes d’apprentissage
Ainsi Daniel Heller-Roazen nous éclaire sur le petit d’homme qui dans sa première année de vie va réduire son audition aux consonnes et voyelles propres à sa langue maternelle. Avec cet oubli, le bébé va également réduire sa capacité de babil que Jakobson qualifie d’« atrophie partielle des capacités phoniques ». Cette atrophie marque le commencement de l’acquisition du langage :
- émission de dentales (comme [t] et [d]) ;
- puis les palatales et les vélaires (comme [k] et [g]) ;
- les occlusives et des labiales (comme [b], [p], et [m]) ;
- les constrictives (comme [v], [s] et [∫]) ;
- jusqu’à s’approprier tous les éléments de sa langue.
On comprend alors à quel point il est essentiel de parler aux bébés en utilisant un vocabulaire riche et varié. Par la suite, le petit d’homme va connaître de grandes étapes d’apprentissage du langage et vous pouvez l’écouter et l’accompagner dans ses découvertes.
Langue maternelle ou prénatale
L’humain exposé à une autre langue lors de sa vie in-utero et dans ses premiers mois de vie conserve une compréhension de la prosodie de cette première langue sans pour autant en comprendre la signification. C’est le cas d’adolescents d’origine chinoise ayant été adoptés par des familles québécoises. Les images neuronales issues de cette étude spécifique attestent l’activation des régions cérébrales associées dans la compréhension des tons lexicaux de la langue chinoise comme une composante d’une langue (et non seulement d’une musique)2.
En bref
Les avancées scientifiques nous révèlent encore une fois à quel point les bébés sont dotés d’un potentiel infini. Leur compréhension du monde est bien plus large que ce que nous pouvions croire il y a encore seulement quelques années. Ainsi, le bébé acquiert le langage selon un processus riche et empreint de bienveillance et d’attention.
Vous pouvez faire confiance à Bébé, il saura vous révéler ses talents.
Nos articles sur la même thématique
- Immersion en milieu sonore ou comment décrypter les pleurs de Bébé
- Pourquoi parler à un bébé ?
- Les grandes étapes du développement du langage
- Comment encourager les enfants à parler et à communiquer ?
Nos sources :
- Écoutez l’incroyable émission Sur les épaules de Darwin – Aux origines du langage
- Lisez l’article du CNRS sur les origines du langage
- Laissez-vous porter par Jean-Claude Ameisen dans son podcast Sur les épaules de Darwin – La musique des mots
- Sur les épaules de Darwin – Des chants appris avant de naître vous expliquera la musicalité, la prosodie du langage
- Pour tout comprendre sur l’oublis des sons, lisez Écholalies, essai sur l’oubli des langues par Daniel Heller-Roazen
1. Roman Jakobson l’observe dans Langage enfantin, aphasie et lois générales de la structure phonique
2. Une cartographie de la persistance inconsciente de la première langue perdue de Pierce LJ, Klein D, Chen JK, et coll . National Academy of Sciences of the USA 2014